Hiro Mariteragi

Un Homme des Mers du Sud

Chapitre 5

Un jour, alors qu’Hiro avait environ 23 ans, un policier vint chez eux avec des papiers disant qu’ils devaient des impôts au gouvernement. A cette époque, tous les étrangers devaient payer une taxe annuelle d’environ 3500 francs. Bien que Jacqueline soit née à Tahiti, et sa mère également, elle était toujours considérée comme étrangère, car étant chinoise. Elle n’était pas devenue citoyenne française. Il fallait payer cette taxe dès l’âge de 18 ans, et comme elle était partie très jeune de chez elle, personne ne lui en avait parlé. Le gouvernement exigeait l’équivalent de cinq ans de taxes plus un montant égal à titre de pénalité ! Et pour couronner le tout, ils devaient payer dans les 24 heures! 35 000 francs représentaient beaucoup d’argent à cette époque, en particulier pour quelqu’un comme Hiro qui n’avait pas d’emploi stable. S’il ne payait pas, Jacqueline se retrouverait en prison. Hiro était très embêté, d’autant plus que Jacqueline nourrissait un bébé à ce moment là. Il ne savait pas quoi faire. Il connaissait un homme du nom de Pouvanaa a Oopa qui était à l’époque un dirigeant politique très important pour les tahitiens. Hiro alla le voir pour lui demander de l’aide. Pouvanaa alla avec lui au bureau du gouvernement. Pouvanaa demanda à l’homme qui était de service, « si vous voulez pêcher du poisson, est-ce que vous allez dans la forêt pour cela? Si vous voulez de l’argent, pourquoi vous adressez-vous à un homme qui n’en a pas? » Le fonctionnaire comprit qu’ils n’obtiendraient pas d’argent de la part de Hiro pour la simple et bonne raison qu’il n’en avait pas. Ils lui firent donc payer une amende de cinq francs et le renvoyèrent chez lui. Pouvanaa fit par ailleurs en sorte que Jacqueline devienne citoyenne française à compter de ce jour.

En 1966, Hiro obtint un nouveau travail. Il avait entendu parler d’un emploi au C.E.P, le Centre d’Expérimentation Nucléaire français. Ils faisaient des essais atomiques à l’extrémité sud des Tuamotus, sur l’île de Mururoa. Il passa son permis pour conduire des camions et commença à travailler pour eux. C’était un travail très bien rémunéré. Plus que ce qu’il avait jamais gagné, environ 150 000 cfp par mois. Il y travailla jusqu’en 1971, époque où sa hiérarchie voulut qu’il aille à Mururoa travailler sur des projets nucléaires. Les équipes de travailleurs se relayaient pour des périodes de trois mois. Hiro voulait y aller, malgré l’éloignement familial, en raison du très bon salaire. Mais quand il en parla à sa femme, elle lui dit que les enfants ne s’en sortaient pas très bien à l’école et qu’elle avait besoin d’aide. Il lui fallait accepter le travail à Mururoa où démissionner. Il décida de démissionner et prit un autre travail deux fois moins bien payé pour pouvoir aider sa femme et ses enfants.

Il conduisit le bus de l’école mormone jusqu’en 1982, quand l’école ferma ses portes. Il conduisit ensuite un bus de la ville de Papeete pour transporter des travailleurs, des écoliers et des équipes sportives. Il fit ce travail jusqu’en 1995. Cette année-là, il se rendit en bateau aux Tuamotus pour des affaires de terre. Une secousse le fit tomber dans le bateau et il se cassa le cou. On l’opéra et trois de ses vertèbres se retrouvèrent soudées les unes aux autres. Il ne fut plus alors en mesure de conduire un bus car il était dans l’impossibilité de tourner la tête pour voir la circulation. Comme il était très aimé, la commune évita de le licencier et lui donna un travail facile à la mairie, qui consistait à collecter l’argent des parkings.

Au cours de l’été 1983 (les saisons sont inversées sous l’équateur), cinq cyclones se succédèrent. L’un d’eux frappa Tahiti de plein fouet. Il y eut beaucoup de dégâts. Hiro eut bien du mal à protéger sa maison. Le toit du voisin s’envola, et ils craignirent qu’il ne touche leur maison. Hiro avait attaché des cordes sur son toit afin qu’il ne soit pas arraché, mais ce n’était pas suffisant. Dans un ultime effort pour sauver le toit, il jeta par-dessus le tuyau d’arrosage du jardin, et avec l’aide de quelques autres personnes, ils tinrent fermement les extrémités jusqu’à la fin de la tempête, sauvant ainsi leur maison.

En 1994, Hiro eut un ulcère à l’estomac. Il alla à l’hôpital pour se faire soigner. Tout se passa bien, jusqu’à ce qu’il rentre chez lui. Au bout de quelques jours, son estomac commença à enfler, le faisant énormément souffrir. On l’amena en urgence à l’hôpital où il tomba dans le coma. Un abcès s’était formé et il fallut à nouveau l’opérer. Pendant un certain temps, le pronostic resta très réservé. En fait, il faillit mourir. Mais suite aux soins intensifs et aux prières de sa famille, il se rétablit. Il reste de cette expérience une large cicatrice sur l’estomac.

A cette époque, les passe-temps préférés de Hiro étaient le basket et le chœur. Il entraînait l’équipe de basket « SDJ » depuis qu’il avait cessé de jouer, en raison de l’âge. Il avait également une équipe de filles dans laquelle cinq de ses filles jouaient. Cette année-là elles gagnèrent même le championnat.

Hiro a été très actif dans l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (Mormons) et a servi comme un évêque, un patriarche, et, comme un conseiller dans le présidence du Temple.

Tous ses enfants jouaient au basket, et certains continuent encore à jouer. Tous leurs enfants sont mariés. Hiro et Jacqueline ont 33 petits enfants. Hiro a dit un jour que si cela ne tenait qu’à lui, il aimerait avoir une immense maison où tous ses enfants et petits enfants vivraient, afin d’être toujours ensemble.
Les enfants de Hiro sont très doués, tous chantent et dansent les danses traditionnelles des îles. L’aînée des enfants, Fifi a dansé dans un groupe professionnel avec son mari et ses enfants. Un de leurs fils est apparu dans un programme spécial de PBS intitulé « Les Nomades du Vent ». On trouve aussi parmi eux des producteurs de perles. Aujourd’hui, au lieu de plonger à la recherche de nacres, ils les cultivent, ainsi que les perles, à la manière des japonais. Les perles produites sont noires ou gris-vert, et beaucoup plus grosses que les perles blanches du Japon. Roselyne a dit de Hiro : « Mon père m’a enseigné beaucoup de choses dès l’âge de deux ans. Il me mettait sur la table de la cuisine pour m’apprendre à danser, et pendant qu’il s’accompagnait à la guitare, je dansais.

Il m’a appris à aider les autres, quelles que soient les circonstances. Un jour que nous allions à l’entraînement de basket, nous vîmes un homme en train de pousser sa voiture qui était en panne. Bien que nous soyons en retard, il a décidé d’aider cet homme à pousser sa voiture jusqu’au prochain garage. Une autre fois, en 1993, un de mes amis me dit que ses parents étaient allés en vacances à Tahiti et dans les îles voisines pour un séjour de trois semaines environ. Au bout de deux semaines, son père était tombé gravement malade et avait été transporté à l’hôpital de Tahiti. Mon ami, qui ne savait pas ce que son père avait, se faisait beaucoup de soucis pour lui et me demanda si je pouvais l’aider d’une manière ou d’une autre. J’ai alors appelé mon père à Tahiti et lui ai expliqué la situation de ce couple de touristes américains. Il me dit : « N’en dis pas plus, on s’occupe d’eux ». Deux jours plus tard, mon ami me téléphona pour me remercier d’avoir envoyé mon père à la rescousse. Il est allé leur rendre visite et s’est présenté à eux en leur disant « ma fille, qui est une amie de votre fils, m’a demandé de venir vous voir ». Remarquant la présence d’un ukulele sur une table, il le prit, en régla les accords, leur chanta des chants polynésiens et leur fit la conversation. Mon ami ajouta que cette expérience avait été pour ses parents le meilleur moment de tout leur voyage. « Pendant longtemps, il a entraîné l’équipe féminine SDJ de basket. Il était très patient avec mes difficultés à dribbler correctement. Il avait aussi un grand amour de la musique. Je me rappelle des répétitions de chœur que nous avions. Nous commencions à dix neuf heures pour terminer à vingt et une heures tous les dimanches soir. A vingt et une heure, il disait toujours ‘un dernier chant, d’accord ?’ Les membres du chœur l’aimaient tellement qu’ils le laissaient toujours faire ce qu’il voulait. Les jeunes de notre quartier l’aimaient aussi beaucoup. Quand il fut si malade et hospitalisé, une quarantaine de jeunes vinrent le voir dans sa chambre d’hôpital et chantèrent pour lui. J’aime beaucoup mon père. Il a eu beaucoup de foi et de courage pour faire tout ce qu’il a accompli. »

Malheureusement, Hiro est décédé le Juillet 29, 2004, après un court combat avec Luekemia.

Il nous manque beaucoup.

FIN




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