Hiro Mariteragi

Un Homme des Mers du Sud

Jacqueline Shutts

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Last Updated 06/14/08


Préface

Préface de James Shutts

Au cours de notre vie, notre chemin croise celui de milliers de personnes que nous n’avons que très rarement l’occasion de bien connaître. Il arrive cependant que les circonstances nous rapprochent de quelqu’un ayant toutes les apparences d’un être ordinaire, mais qui se révèle une personne extraordinaire au fur et à mesure que nous apprenons à la connaître. C’est ce que cette histoire raconte. Alors que je servais une mission dans les Iles, j’entendis parler de Hiro Mariteragi, qui dirigeait une chorale. Je savais que cela était déjà quelque chose de peu ordinaire. Mais la façon dont les gens parlaient de lui, et le respect qui émanait de leurs propos m’impressionnaient. Je n’ai jamais eu l’opportunité de le rencontrer pendant ma mission, n’ayant jamais servi là où il vivait. Imaginez donc ma surprise lorsque j’ai découvert que la jeune fille que je voulais épouser n’était autre que sa fille ! Outre le récit de sa vie, cette histoire illustre comment le fait de prendre de justes décisions et de vivre conformément à ses croyances et à ses valeurs permet de forger une personnalité intègre. Car la vie de Hiro est avant tout un exemple d’intégrité morale.






La Polynésie Française est un groupe d’îles situées dans le Pacifique Sud, sous gouvernance française. Cinq groupes forment la Polynésie Française, avec parfois des langues différentes. Cette histoire est répartie sur deux de ces groupes, l’Archipel des Tuamotu et l’Archipel des Iles de la Société. L’Archipel des Tuamotu est composé d’un ensemble d’atolls essentiellement constitués de corail et généralement situés à environ 5 mètres au dessus de la mer. Les atolls forment des anneaux de corail avec au milieu de petites îles et un lagon. Les habitants des îles Tuamotu font référence à eux-mêmes et à leur langue en terme de Paumotu. Tahiti est l’île principale des Iles de la Société, issues d’anciens volcans et présentant parfois des sommets montagneux culminant à plusieurs centaines de mètres d’altitude.

Taenga est assurément un bel atoll, mais pas très différent des autres. Il se situe à environ 5 mètres au-dessus du niveau de la mer. On y trouve des récifs et du sable blanc, avec au centre un lagon d’un vert turquoise. Le sol étant sablonneux, les légumes n’y poussent pas très bien et la végétation y demeure limitée, à la différence des îles volcaniques qui sont beaucoup plus luxuriantes. Le lagon est riche en poissons et autres créatures sous-marines. Parmi les quelques espèces végétales présentes sur l’atoll, les cocotiers prédominent. On y trouve également beaucoup d’oiseaux propres à l’environnement marin et des crabes appelés kaveu. Ces crabes peuvent mesurer jusqu’à 30 cm ou plus et grimper sur les cocotier pour choisir une noix de coco dont ils coupent la tige à l’aide de leurs pinces, provoquant sa chute et son éclatement. Après être redescendus de l’arbre, ils pèlent l’enveloppe de la noix de coco et en mangent la chair située à l’intérieur. Si la noix de coco ne s’est pas fendue en touchant le sol, le crabe le transporte jusqu’au sommet de l’arbre pour le faire retomber. On les surnomme les crabes voleurs.

La vie sur les atolls était rude et difficile. Attendu qu’ils ne pouvaient y faire pousser des légumes, les habitants se nourrissaient essentiellement de poissons et de crustacées. Ils pouvaient également disposer de farine, de riz et de boîtes de conserves lorsque les bateaux leur en livraient à des intervalles de plusieurs mois, mais pas de grand-chose d’autre. Les habitants des Paumotu se sentaient chez eux au milieu de l’océan. Ils avaient pour l’océan beaucoup de respect et connaissaient ses dangers, sans craindre cependant de les affronter.

Il n’y a pas de sources d’eau potable dans les Tuamotu. L’eau est collectée dans de grands barils entreposés aux coins des maisons afin de récupérer l’eau de pluie dégoulinant du toit. Ils boivent l’eau de coco et utilisent l’eau de pluie pour se baigner et faire la cuisine. Il n’est pas possible de creuser de puits car ces îles ne sont que des agglomérats de sable et de corail situés à quelques mètres à peine au-dessus du niveau de la mer. Si un trou est creusé, seule de l’eau saumâtre apparaît. C’est la raison pour laquelle il n’y a que peu d’espèces végétales en mesure de bien pousser sur les îles des Tuamotu.

Il n’y avait pas beaucoup de travail sur les atolls. Les deux activités principales se limitaient à plonger pour récolter des nacres et à faire du copra. Le copra est la chair issue des noix de coco arrivées à maturité, que l’on fait sécher au soleil. Le travail consiste à récolter les noix de coco jonchant le sol d’une cocoteraie, à l’aide d’un bâton au bout duquel se trouve une pique. La pique est enfoncée dans l’enveloppe de la noix de coco afin d’en extraire celle-ci et de la mettre en tas. C’est le moyen le plus rapide de récolter les noix de coco, et le travailleur n’a pas besoin de se pencher constamment pour les ramasser. Les noix de coco sont ensuite coupées en deux à l’aide d’une hache et sont laissées à sécher au soleil. La chair se rétrécit au fur et à mesure qu’elle sèche, ce qui permet de l’extraire plus facilement ensuite. Elle est ensuite entreposée sur une plate-forme afin de continuer à sécher. Elle est ensuite mise dans des sacs de toile pour être transportée par bateau. Le copra ainsi récolté est utilisé pour fabriquer de l’huile de noix de coco, du savon, etc…

Les polynésiens n’avaient pas de langue écrite. L’écriture est apparue avec l’arrivée des premiers européens. Jusqu’à cette époque, ils mémorisaient ce qu’ils estimaient nécessaire de retenir. Ainsi en était-il de leur généalogie. Ils mémorisaient des générations et des générations d’ancêtres. Ils se servaient de psalmodies et de chants pour aider à s’en rappeler. Certains polynésiens utilisaient même des cordes avec des nœuds pour mieux se rappeler chaque génération. Toutefois, ils ne pouvaient pas mémoriser de dates de naissance ou de décès car ils ne disposaient pas de moyens pour définir le temps. Cela est venu plus tard avec les européens. Par ailleurs, le déroulement du temps ne signifiait pas grand-chose pour eux.
Avec la venue des européens, beaucoup de ces généalogies ont été transcrites sur ce que les natifs appelaient les « Livres des Ancêtres ». C’est dans l’un de ces livres que nous trouvons l’origine du nom Mariteragi.

Les registres gouvernementaux n’ayant pas été conservés jusqu’au milieu, voire la fin des années 1800, les dates de naissance ne peuvent qu’être approximatives. Par ailleurs, les coutumes locales concernant le choix du nom des enfants étaient très différentes de celles des européens. Les polynésiens pouvaient prendre un nouveau nom n’importe quand, en particulier quand un évènement particulièrement important se produisait. Lorsqu’ils se mariaient, ils recevaient de nouveaux noms. Si un parent proche décédait, ils pouvaient prendre un nouveau nom en l’honneur de la personne décédée. S’ils déménageaient, ils pouvaient également agir de même. Ils n’avaient pas de nom de famille.

L’arrière-arrière-arrière-grand-père de Hiro s’appelait Kapea. Il naquit aux environs de 1788 à Taenga et se maria à une femme du nom de Tangihiateporoa. Il semble que leur premier fils naquit un jour très ensoleillé et sans nuage car ils l’appelèrent Mariterangi. « Mari », ou plus exactement « Maari », signifie brillant, en faisant référence au ciel ; « te » est un article défini (le, la) ; et « rangi » veut dire ciel. « ng » se prononce comme dans « sing ». Parfois, le « ng » s’épelle seulement avec un « g ».

Mariteragi vint au monde vers 1811 sur l’atoll de Taenga. Il prit pour femme Tuiariki, et ensemble ils eurent six enfants. A cette époque, les français avaient commencé à établir des registres, et avaient besoin pour cela d’un nom de famille. Ils commencèrent en utilisant le nom du père comme nom de famille. Depuis lors, les enfants de Mariteragi portèrent son nom comme nom de famille. Il est fait mention de Rua-Ririfatu, le premier des enfants de Mariteragi, dans l’ouvrage de Robert Louis Stevenson relatant ses voyages dans les Tuamotu, intitulé In the South Seas. Dans l’une des deux histoires où Mr Stevenson évoque les superstitions des polynésiens, Rua-Ririfatu a Mariteragi lui parle des parties de pêche avec son père, Mariteragi. Il est intéressant de noter la façon dont le nom est écrit. Le « a » était un ajout français, indiquant que le nom de famille suit.

« Rua-a-mariteragi …est originaire de l’île de Taenga, d’une grande pauvreté. Mais la maison de son père était bien approvisionné. Alors qu’il était adolescent, Rua fut enfin appelé à accompagner ce père prospère à aller pêcher. Ils ramèrent sur le lagon dans l’obscurité jusqu’à un endroit pourtant peu propice à la pêche… et le père commença sans succès à lancer sa ligne à l’avant du bateau. Il faut supposer que Rua s’endormit, car à moment donné il ouvrit les yeux et vit un autre personnage à côté de son père, lequel rentrait du poisson en quantité dans le bateau. ‘ Qui est cet homme, papa ?’ demanda Rua. ‘Cela ne te regarde pas’, lui répondit -il. Rua supposa que l’étranger les avait rejoint à la nage depuis le rivage. Chaque soir ils s’aventuraient sur le lagon, souvent dans les endroits les plus improbables ; et chaque soir l’étranger apparaissait mystérieusement sur le bateau, pour le quitter plus tard tout aussi mystérieusement ; et chaque matin, le bateau revenait chargé de poissons. ‘Mon père a beaucoup de chance,’ pensait Rua. Un beau jour … père et fils partirent plus tard que d’habitude sur le lagon, et avant que leur pirogue n’accoste il était 4 heures du matin, et l’étoile du matin avait rattrapé l’horizon. L’étranger apparut alors, saisi d’angoisse. Il se retourna et montra pour la première fois son visage qui avait l’apparence de quelqu’un mort depuis longtemps, avec des yeux brillants qui était fixés dans la direction de l’est. Il porta le bout de ses doigts à ses lèvres froides, émit un son étrange et vibrant, quelque chose entre le son d’un sifflet et un gémissement (à glacer le sang), puis disparut avec le lever de l’astre du jour. Rua comprit alors pourquoi son père était prospère, pourquoi ses poissons pourrissaient rapidement dans la journée, et pourquoi on en amenait toujours quelques uns au cimetière pour être déposés sur les tombes. « Mon informateur n’est pas sans être enclin à la superstition, mais il a toute sa tête, et manifeste une sorte d’intérêt supérieur que je serai tenté de décrire comme scientifique. La fin de l’histoire lui rappelant des pratiques similaires sur Tahiti, il demanda à Rua si on laissait les poissons sur les tombes ou si on les ramenait à la maison après qu’ils aient été officiellement dédiés. Il semble que le vieux Mariterangi pratiquait les deux méthodes ; quelquefois régalant son partenaire fantomatique d’une simple offrande, parfois laissant honnêtement la totalité de ses prises pourrir sur les tombes. »

             Robert Louis Stevenson, « Dans les Mers du Sud », chapitre 21 -

Leur sixième enfant, Kaheke Mariteragi (1844 environ), a dû être quelqu’un de très gentil et de serviable vis-à-vis de son entourage. Hiro raconte une légende familiale qui lui a été rapportée par un lointain cousin. L’histoire a été vraisemblablement amplifiée au fur et à mesure qu’elle a été transmise, et Hiro rit de cette histoire chaque fois qu’il la raconte. Il en existe plusieurs variantes dont voici le récit.

Une version raconte que Kaheke et un groupe de six autres personnes originaires de Taenga formaient un groupe appelé les Tokohitu, ce qui signifie « le groupe des sept », et qu’ils pouvaient voler dans les airs. Chaque fois qu’ils entendaient dire que quelqu’un, en particulier un membre de leurs familles, avait besoin d’aide, ils se dissociaient et volaient là où l’on avait besoin d’eux pour apporter leur aide. Après quoi, ils revenaient vers Taenga pour parler de ce qu’ils avaient fait. Hiro raconte en riant qu’ils étaient de vrais supermen Paumotu.

L’autre version est à peu près identique, à cette exception près que Kaheke ne volait pas en personne, mais qu’il quittait son enveloppe charnelle, retenu par un fin cordon métaphysique, pour aller aider ceux qui avaient besoin de son aide. Il allumait une bougie près de sa fenêtre, et pendant que celle-ci brûlait, les gens savaient qu’il ne fallait pas venir chez lui, car cela signifiait qu’il était hors de son corps. Si quelqu’un venait le déranger, il courait le risque de rompre le lien qui le maintenait relié à son corps, ne lui permettant plus de réintégrer celui-ci.

Bien que ces histoires ne soient pas vraies au sens littéral, il est bien possible que Kaheke était quelqu’un qui se donnait beaucoup de mal pour aider les personnes dans le besoin et qu’il était tellement admiré pour cela que ceux qu’il aidait racontaient et racontaient encore ces histoires jusqu’à ce qu’elles fassent de Kaheke un super-héros.

Le quatrième enfant de Kaheke s’appelait Raka Toriki Mariteragi (né vers 1880). C’était le grand-père de Hiro et le premier de la lignée, pour autant que l’on sache, à devenir membre de l’Eglise Mormone qui avait à l’époque un nombre important de membres dans les Tuamotu. Il a épousé Mataigo Tuhiata Moo avec qui il a eu neuf enfants. Son deuxième enfant était le père de Hiro, Reia Tauapiti Heiau Mariteragi , né en 1903.

Le premier enfant de Raka s’appelait également Raka Toriki. Au début des années 1920, l’Eglise Mormone demanda à Raka d’aller à Tubuai dans l’Archipel des Australes, pour aider à fortifier les branches de l’Eglise. Son fils Raka y rencontra une jeune fille qu’il épousa. Selon la loi française, seul un officier d’état civil peut célébrer un mariage pour que celui-ci soit légal. Le mariage religieux n’est pas reconnu par la loi. Lorsque Raka et son épouse allèrent voir l’officier d’état civil pour être mariés, ce dernier omit le nom Mariteragi et l’enregistra seulement en tant que Raka Toriki. Peut-être n’a-t-il pu le prononcer, ou su comment l’épeler. Tous les évènements familiaux tels que les mariages, les naissances et les décès étaient répertoriés au niveau des services administratifs concernés. Peut-être Raka ne savait-il pas lire, ou bien n’a pas reçu copie de son certificat de mariage. Toujours est-il qu’il vécut sa vie maritale sans savoir que sur le plan officiel son nom était à présent Toriki. Sa mère mourut là, et son père retourna aux Tuamotu. Il resta à Tubuai et y éleva sa famille. Lorsqu’il alla déclarer ses enfants (certificat de naissance), il vit que le dernier nom était Toriki. Il ne voulut pas passer par toutes les formalités administratives pour changer leur nom de famille et laissa les choses en l’état. Il y a donc aujourd’hui toute une branche de la famille Mariteragi connue sous le nom de Toriki. Jusqu’à ce jour, les cousins de Hiro ne veulent pas se tracasser pour ramener leur nom à celui de Mariteragi.

Raka Toriki Mariteragi, le grand-père de Hiro, voyageait beaucoup en fonction des besoins du commerce de la nacre et vivait sur l’atoll de Taenga lorsque le père de Hiro y vit le jour au tournant du siècle. Ils vécurent là jusqu’à l’adolescence de Tauapiti et allèrent vivre ensuite sur l’atoll de Takapoto.

C’est une chose courante en Polynésie pour une famille ayant beaucoup d’enfants de donner un ou plusieurs de leurs enfants à un couple sans progéniture. C’est ainsi que Tauapiti et l’un de ses frères furent donnés à leur tante Te’ura Tufakai Puia afin qu’elle les élève. [Nous ne savons pas combien de temps il vécut avec elle.]

A peu près à la même époque vivait à Huahine , l’une des Iles de la Société, une jeune fille du nom de Teorai Turia Hapairai née en dehors des liens du mariage, et qui ne savait pas qui était son père. Sa mère était morte lors de l’épidémie mondiale de grippe de 1918 qui tua 20 pour cent de la population. Vers l’âge de 15 ans, Turia était donc orpheline. Au bout d’un certain temps elle décida de voyager d’île en île, de voir les paysages, et d’apprendre sur les autres îles et les gens qui les habitait. Apparemment, elle se fatiguait de rester au même endroit et partait voir ailleurs. Elle finit par arriver à Takapoto. Dès qu’il la vit, Tauapiti en tomba amoureux. Ils voulurent se marier, mais les parents adoptifs de Tauapiti s’y opposèrent parce qu’elle n’était pas Paumotu. Ils se marièrent tout de même vers 1925. Les parents adoptifs étaient furieux et eurent recours en secret à de la magie noire, leur jetant un sort afin qu’aucun de leurs enfants ne vive. Ce genre de chose était très courant à l’époque dans la vie des polynésiens. Bien qu’ayant en principe renoncé à leur religion païenne, la plupart des polynésiens conservaient des croyances liées à des pratiques occultes relevant de la magie noire. Aujourd’hui encore, nombreux sont celles et ceux qui craignent les esprits de leurs ancêtres décédés, et tous peuvent raconter des histoires sur quelqu’un ayant des expériences avec l’esprit de personnes décédées. Il utilisent le terme de tupapa’u pour faire référence aux fantômes.

Le premier enfant était un garçon. Il mourut deux jours après sa naissance, suite à une hémorragie située au niveau du nombril. Le second mourut de la même façon. Il n’y avait pas de docteur sur les atolls en ces temps là et les gens devaient se débrouiller par eux-mêmes. Turia pensa alors que leur prochain bébé devrait naître à Tahiti où il y avait des médecins. Quand elle tomba à nouveau enceinte, elle fit part de ses sentiments à son mari. Il n’était pas d’accord pour qu’elle parte. Il avait certes entendu diverses rumeurs et ragots relatifs aux sorts et à la magie noire, mais il ne croyait pas en ces choses. Un jour, alors qu’il faisait du copra à l’autre bout de l’île, il vit un bateau de ravitaillement arriver à Takapoto. Attendu que les bateaux ne venaient que tous les deux mois environ, Turia fit ses bagages et monta sur le bateau pour se rendre à Tahiti où elle aurait des docteurs auprès d’elle au moment d’accoucher. Le bateau devait s’arrêter dans d’autres îles avant de se rendre à Tahiti. Dès que Tauapiti vit le bateau contourner l’autre extrémité de l’île, il sut immédiatement que son épouse était à bord. Il monta sur sa pirogue à voile afin de rattraper le bateau. Il est difficile de naviguer seul à bord de ce genre de pirogue. Normalement il faut une équipe de trois personnes. En dépit de ce handicap, il réussit à le suivre jusqu’à Takaroa.

Il y retrouva son épouse qu’il essaya de convaincre de repartir avec lui. Elle rencontra des missionnaires mormons à qui elle raconta son histoire. Ils furent d’accord avec elle et ils encouragèrent Tauapiti à se rendre à Tahiti avec elle. Il dit qu’il ne pouvait pas car il n’avait ni argent ni vêtements, ni suffisamment de temps pour retourner à Takapoto et prendre ses affaires. Le bateau allait partir très bientôt et il s’écoulerait beaucoup de temps avant qu’un autre ne vienne. Les missionnaires, sentant que c’était vraiment important et que la cause en valait la peine, lui prêtèrent de l’argent et des vêtements afin qu’il puisse se rendre à Tahiti.

Ils s’arrêtèrent en chemin à Aratika où ils tombèrent sur un membre de leur famille. Ils lui firent part des difficultés qu’ils avaient à avoir un enfant et des raisons de leur voyage à Tahiti pour mettre au monde celui qui allait naître. Surpris qu’ils ne soient pas au courant, il leur parla de la malédiction et leur dit que s’ils avaient leurs enfants à Tahiti, ils naîtraient sans problèmes. Apparemment la magie noire ne fonctionnait pas sur une telle distance, ou bien peut-être qu’avec l’aide des docteurs, elle était sans effet.

Le 27 décembre 1929, la sœur de Hiro, prénommée Roiti vint au monde à Tahiti. Deux ans plus tard, ils revinrent à Takapoto.

Hiro naquit le 22 septembre 1935. Il avait le même problème que les deux premiers enfants qui étaient morts. Son nombril ne cessait de saigner. Il y avait une grande et forte femme vivant sur l’île appelée Mama Parutu qui connaissait des remèdes ancestraux. Paniqué, Tauapiti partit à sa recherche et lui expliqua le problème. Elle leur dit d’amener l’enfant et fit une mixture à base d’excréments [?!] qu’elle appliqua sur le nombril et, avec l’aide des prières de la famille, l’enfant fut sauvé. Mama Parutu donna à Hiro un autre nom, « Piri », qui peut se traduire par énigme, quelque chose de caché qui doit être trouvé. Elle pensait que Piri était quelque chose qui était perdu et qui était retrouvé. Elle connaissait beaucoup de vieux chants parlant des îles, et elle lui enseigna un chant à propos de son nom :

Piri o tua, Piri o aro, E hoo taai, E hoo piri.

Ce qui veut dire : « Enigme derrière, énigme devant, défait le nœud, résous l’énigme.» Mama Parutu voulait lui enseigner les vieux chants et poèmes, mais à l’époque de son enfance, Hiro ne s’intéressait pas à ces choses. Aujourd’hui, il regrette de ne pas les avoir appris car très peu de gens à présent les connaissent.

Mama Parutu avait une grande connaissance de la culture et de la langue des Tuamotu. Elle connaissait la poésie d’antan et les chants appelés vananga. Elle connaissait également les vieux mythes et légendes. Hiro, comme tous les garçons de son âge, ne voulait pas passer son temps assis pour mémoriser ces choses. Il préférait aller jouer avec ses amis. Mama Parutu essaya de le convaincre de les apprendre, afin que cette connaissance puisse être transmise de génération en génération. Ce fut malheureusement en vain, et Hiro n’accorda jamais vraiment d’attention à ces histoires. A deux exceptions près. Un vananga, ou poème, parle de l’atoll de Takaroa :

Takapua i te nukurehia
Henua tur?ahia e te anuanua
Henua hangahia e te Nuku-Mau-Atua

C’est du vieux paumotu, et c’est difficile à traduire, mais cela parle d’un arc-en-ciel créé par les dieux au-dessus de l’île.

Il y avait des histoires sur pratiquement tout, expliquant comment ou pourquoi le monde fonctionne ou a été fait. Hiro se rappelle de l’une de ces histoires. A Takapoto, il y a un endroit sur l’île où se trouvent deux longs promontoires, appelés koutu, qui s’étendent à angle droit de chaque côté de l’île, l’un dirigé vers le lagon, l’autre vers l’océan. Ces endroits étaient situés exactement l’un en face de l’autre, avec peu d’eau à marée-haute, et nettement plus exposés à marée-basse. Mama Parutu a raconté à Hiro l’histoire de ces deux promontoires.

« Il y avait autrefois deux mauvais géants qui arrivèrent à Takapoto. Ils étaient particulièrement laids et avaient des yeux aussi bien derrière que devant leur tête.
« Ils avaient très faim et partirent en quête de nourriture. Voyant un village au loin, ils décidèrent d’aller y manger quelques habitants. Non loin de là, il y avait deux jeunes femmes en train de pêcher. Elles venaient d’attraper des hue, également connus comme poissons porc-épic. Ces poissons sont bons à manger mais il faut les nettoyer avec une attention toute spéciale car la bile située dans les intestins est très toxique.
« Les deux femmes entendirent les géants arriver et eurent peur. Elles n’eurent pas le temps de se cacher et furent capturées par les géants. Elles demandèrent, `Où allez-vous ?´
« Les géants dirent, `Nous allons au village y manger les gens, nous avons très faim.´
« L’une des femmes eut une idée. Elle dit aux géants qu’elles avaient de la nourriture pour eux, que cela constituerait une mise en bouche avant qu’ils n’aillent au village. Les géants accueillirent cette nouvelle avec contentement et demandèrent où était cette nourriture.
« `Nous allons vous la préparer,´ dirent les femmes. `Cela ne nous prendra que quelques minutes. Attendez-nous là.´
« Les géants décidèrent donc de les attendre. Pendant ce temps, les femmes allèrent préparer les hue en mélangeant la bile à leur préparation. Quand elles eurent terminé, elles retournèrent vers les géants et leur donnèrent à manger. Les géants mangèrent avec plaisir. Les femmes dirent alors aux géants qu’elles allaient leur chercher de l’eau à boire, et coururent vers le village.
« Quand les géants eurent terminé de manger, ils ne tardèrent pas à se sentir malades et le poison contenu dans la bile fit rapidement son effet. Les géants s’écroulèrent morts. L’un tomba dans la direction de l’océan et l’autre dans la direction opposée, côté lagon. C’est là qu’ils reposent jusqu’à ce jour, à l’origine de ces promontoires appelés koutu.


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